Analyse de l’influence des langues dans les systèmes de pensées et la politique des organisations internationales
Dr. Martin Momha
Professeur de sociolinguistique et de didactique
Chercheur en sciences du langage et de la communication
RÉSUMÉ
Le but de cet article est de définir l’influence de la langue dans les systèmes de pensées et la politique des organisations internationales dans un monde qui se globalise irréversiblement. Notre analyse aborde la problématique sur deux axes dialectiques : l’impérialisme linguistique en amont et la décolonisation linguistique en aval. Dans une approche gravitationnelle et marxiste, notre préoccupation est de savoir d’une part comment certains états devenus des puissances impérialistes parviennent à imposer leur langue sur le plan international et à inféoder d’autres nations à leurs systèmes de pensées et, d’autre part, comment certaines ex-colonies réunies autour des organisations supra-étatiques agissent stratégiquement pour se défaire de la tutelle linguistique de l’Occident ou pour contrecarrer l’archidomination des langues impérialistes ?
MOTS-CLÉS
Langues, mondialisation, impérialisme linguistique, décolonisation linguistique, géopolitique, géostratégie
ABSTRACT
The purpose of this article is to define the influence of language in thinking systems and the policies of international organizations in a globalizing world. Our analysis addresses the issue on two dialectical ways: linguistic imperialism upstream and linguistic decolonization downstream. In a gravitational and marxist approach, our concern is to know how some states become imperialist powers manage to set their languages on the international level and to subordinate other nations to their belief systems and how some former colonies gathered around organizations act strategically to get rid of linguistic tutelage of the West countries or to counteract the domination of imperialist languages.
INTRODUCTION
Le village planétaire auquel nous appartenons compte plus 6000 langues répertoriées, inégalement disséminées dans les cinq continents. D’après Ethnologue[1], 33% de ces langues sont en Asie, 30% en Afrique, 19% dans le Pacifique, 15% en Amérique, 03% en Europe.
Ces idiomes en compétition sont des organismes vivants et interactionnels qui entretiennent entre eux des rapports de domination ou de subordination (majo-ritaire/minoritaire), des rapports de prédation ou phagocytaire (coloniale/indigène), des rapports d’égalité (déclaration universelle des droits linguistiques), des rapports de discrimination (officielle/vernaculaire), des rapports de partenariat dans le cadre de la traduction réciproque, des rapports de discrimination (langue officielle/ langue vernaculaire), des rapports d’association (bilinguisme, multilinguisme, etc.) et même des rapports d’indifférence quand il s’agit d’une autarcie fonctionnelle, car chaque langue fonctionne comme un système de signes complet, etc
En dehors des déterminants typologiques[2] et génétiques[3], certains experts[4] classent aussi souvent les langues du monde selon leur coefficient locutif, leur statut officiel, le nombre d’articles sur Wikipédia, le nombre de prix Nobel de littérature, la force d’expansion (l’entropie), le taux de fécondité des locuteurs, Indice du Développement Humain, le taux de pénétration sur internet, le nombre de traduction cible, le nombre de traduction source, l’intention d’apprentissage, etc. Il est important d’insister sur ce dernier paramètre, car il y a cinq siècles, les cinq langues[5] les plus apprises étaient : le grec, Le latin, l’hébreux, le Chaldeén, l’Arabe. Comparativement au siècle contemporain, les 5 langues[6] les plus apprises sont l’anglais, le français, l’espagnol, le mandarin, l’arabe. Une telle évolution nous permet de déduire que le prestige des langues est une question de mode, de génération, de civilisation dominante et surtout d’utilité pratique. Tous ces paramètres énoncés et bien d’autres permettent de mesurer à l’aide d’un système de modélisation de données le poids des langues, leur influence et leur hégémonie dans un contexte international dominé par la géopolitique et la géostratégie.
1. DÉFINITION ET MISE EN CONTEXTE DES CONCEPTS
La géopolitique est « l'étude de l'influence des facteurs géographiques, économiques et culturels sur la politique des Etats et sur les relations internationales ». Elle s’intéresse aux problèmes de politique internationale et à ses aspects diplomatiques. On parle d’approche géopolitique lorsqu’il est question de la description des enjeux, de l’analyse des conflits et de « l'étude des interactions entre l'espace géographique et les rivalités de pouvoirs qui en découlent. (…)». Cette analyse repose sur plusieurs axes parmi lesquels les facteurs décisifs dans les alliances, les aspects militaires et énergétiques, les aspects linguistiques, etc. La géostratégie quant à elle, est « l’étude de fabrication des espaces par la guerre ». Elle sous-entend des trafics d’influence, des conflits d’intérêts, des luttes de positionnement pour le contrôle soit d’une région, soit du monde entier, bref une ambition du leadership sur le plan international.
Transposé sur le domaine linguistique, le jumelage de ces deux concepts fait de la langue l’instrument de la conquête du pouvoir et du positionnement hégémonique des nations dans le monde. La langue est donc une puissance dont se servent certains Etats pour contrôler le monde. En tant qu’instrument de socialisation majeur, elle catalyse des interactions entre des humains et régule leurs activités. Dans la plupart des pays où des groupes ethniques prônent le nationalisme ou la sécession, tout conflit politique implique en arrière-plan un conflit linguistique ou vice-vers-ça, car «les impérialismes linguistiques sont toujours signes d'autres impérialismes et derrière la guerre des langues se profile d’autres guerres, économiques, culturelles, etc.»[7]. Aujourd’hui nous connaissons les superpuissances militaires, les superpuissances économiques… il y a aussi des hyperpuissances linguistiques. En effet, dans l’histoire contemporaine du monde, on cite généralement deux grandes guerres mondiales. Une troisième se profile à l’horizon : Ce ne sera pas une guerre politique, non plus une guerre économique ou militaire, ça sera une guerre linguistique où les grands empires linguistiques vont chercher à dominer le monde et à imposer à d’autres nations leurs philosophies, car la langue est non seulement un marqueur identitaire, mais aussi un vecteur idéologique.
Claude Hagège (2012) souligne à ce titre qu’ "imposer sa langue, c'est imposer sa pensée"…. Car « seuls les gens mal informés pensent qu'une langue sert seulement à communiquer. Une langue constitue aussi une manière de penser, une façon de voir le monde, une culture »[8]. Ludovic Greiling (2013) ne pense pas autrement lorsqu’il énonce dans son éditorial que « Chaque langue possède ses propres caractéristiques pour penser le monde. Support essentiel des représentations, elle peut devenir sujette à des luttes d'influence. Des tentatives d'acculturation par les empires à la créativité scientifique, les enjeux sont énormes. »[9] Dans un film projeté sur la chaîne de télévision franco-allemande « Arte » le 10.02.2011 à 22 :30, le narrateur du documentaire Jean-Christophe Victor aboutit à la même conclusion : « les langues sont plus qu’un moyen de communication et de relations entre hommes, elles sont un moyen de différenciation et d’affirmation identitaire »[10].Il est donc logique que dans un monde qui se globalise, la tendance à l’unicité de la langue entraîne forcement l’unidimensionnalité ou l’unipolarité de la pensée. Et dans cette verticalisation des relations internationales, dans cette bataille pour le contrôle universel de la pensée et des représentations, les vaincus parleront les langues des vainqueurs.
2. HYPOTHÈSES ET CADRE THÉORIQUE
Si par hypothèse d’école nous considérons la mondialisation comme un complot uniformisateur qui ne profite qu’à la civilisation dominante en maintenant des autres peuples dans un état d’acculturation chronique, si la langue est une arme de domination et d’assimilation massive, la problématique qui sous-tend cette analyse vise à savoir : en amont comment certains états devenus des puissances impérialistes parviennent à imposer leur langue sur le plan international et à inféoder d’autres nations à leurs systèmes de pensées ? En aval, comment certaines ex-colonies réunies autour des organisations supra-étatiques agissent stratégiquement pour se défaire de la tutelle linguistique de l’Occident ou pour contrecarrer l’archi-domination des langues impérialistes ? Le cadre théorique et conceptuel de notre approche se fonde d’une part sur la théorie gravitationnelle de Louis-Jean Calvet, laquelle illustre dans une sphère globalisée la hiérarchisation et la stratification des langues, et d’autre part sur la doctrine marxiste en tant que lutte des classes, mieux, « guerre des langues », car il s’agit bien d’un conflit linguistique.
3. APPROCHE MARXISTE DE LA THÉORIE GRAVITATIONNELLE DE CALVET
Selon J.-L Calvet, le système linguistique universel représenté par une figure gravitationnelle ressemble à un atome dont l’anglais est l’hyperlangue, c’est-à-dire la langue nucléaire ou matricielle et les autres langues qui gravitent autour de l’hyperlangue comme des électrons sont des langues périphériques de moyenne ou de faible amplitude. L’anglais serait donc une sorte de protolangue de laquelle dériveraient toutes les autres langues du monde. S’il est vrai que la langue est le reflet d’une civilisation, nous aurons alors une civilisation centrale dite anglo-américaine et d’autres civilisations secondaires.
Cette conception newtonienne des relations inter-linguistiques confère à l’anglais un statut substratique qui fait d’elle une langue souche, une langue nucléaire qui évolue au sein d’une galaxie translinguistique ou d’un écosystème mondialisé de langues dont la superstructure est animée par un flux centripète. C’est-à-dire toutes les langues du monde convergent vers l’anglais qui en devient le dénominateur commun. Le schéma suivant illustre bien cette focalisation :
Une approche marxiste de la théorie gravitationnelle de J.L. Calvet corrobore la centralisation vectorielle de l’anglais et la verticalité des statuts linguistiques. Elle instaure entre les langues et les peuples qui les parlent un rapport hiérarchique et conflictuel de type dominant/dominé ou un ordre de préséance qui porte atteinte au principe d’équité et d’égalité qui régit les langues et les cultures du monde, selon la déclaration universelle des droits linguistiques de Barcelone de 1996.
4. IMPACT DE L’ANGLOPHONISATION DU MONDE SUR L’ÉCOLOGIE DES LANGUES
Sur le plan géopolitique, le conflit des langues vise à reconfigurer les nouvelles frontières linguistiques du monde. Ces nouvelles frontières ne sont plus des entités territoriales circonscrites dans un espace géographique délimité ; elles concernent plutôt la force d’expansion des langues et leur influence hégémonique. Il va sans dire, notre planète compte environ sept milliards d’habitants et environ sept mille langues dont certaines ont disparu sans avoir été répertoriées. Il se trouve par ailleurs que 90% de la population mondiale parle 2,5% des langues du monde dont la plus dominante est l’anglais. Cette domination excessive compromet gravement la biodiversité des langues et l’écologie des cultures. C’est sans doute pourquoi contre le risque inéluctable d’une anglophonisation du monde, le linguiste français Claude Hagège (2012) part en guerre « contre ceux qui prétendent faire de l'anglais une langue universelle, car cette domination risque d'entraîner la disparition d'autres idiomes. Je combattrais avec autant d’énergie le japonais, le chinois ou encore le français, affirme-t-il, s'ils avaient la même ambition. Il se trouve que c'est aujourd'hui l'anglais qui menace les autres, puisque jamais, dans l'Histoire, une langue n'a été en usage dans une telle proportion sur les cinq continents »[11].
Mais le totalitarisme de la langue anglaise n’est pas une suprématie naturelle ou une archidomination démocratique. C’est la résultante d’une stratégie politique conçue par les puissances anglo-américaines et relayée par leurs services diplomatiques à travers des programmes culturels hyper subventionnés à l’étranger. C’est aussi le résultat d’un pragmatisme fonctionnel grâce auquel l’anglais s’est incarné au sein des organisations internationales comme langue de référence, langue fondamentale, langue véhiculaire principale, langue obligatoire, puisque les informations, les appels d’offres et les annonces de recrutement dans les organismes onusiens sont publiés exclusivement dans cette langue, ceci en violation du principe de non-discrimination linguistique qui sous-tend la charte des Nations Unies.
Cette politique d’assimilation totalitariste sous-tendue par une dictature de la représentation se fonde sur l’idéologie selon laquelle celui qui impose sa langue, impose sa culture, et celui qui impose sa culture, impose son style et sa vision du monde. La théorie de l’impérialisme linguistique débouche dès lors sur une théorie de l’hégémonisme culturel, processus que décrie Robert Philipson (1992) lorsqu’il cite un « rapport confidentiel »[12] de la conférence anglo-américaine sur l'enseignement de l'anglais à l'étranger :
« L’anglais doit devenir la langue dominante remplaçant les autres langues et leurs visions du monde : chronologiquement, la langue maternelle sera étudiée la première, mais l’anglais est la langue qui par la vertu de son emploi et de ses fonctions deviendra la langue fondamentale ».
Il ressort de cette note confidentielle que la suprématie de l’anglais sur les autres langues « exotiques » est un complot de la colonisation, une stratégie de domination basée sur un asservissement par la langue. Un cannibalisme linguistico-culturel que dénonce J.-L. Calvet avec un certain cynisme :
«La linguistique a été, jusqu'à l'aube de notre siècle, une manière de nier la langue des autres peuples, cette négation, avec d'autres, constituant le fondement idéologique de notre 'supériorité', de la 'supériorité' de l'Occident chrétien sur les peuples exotiques que nous allions asservir joyeusement [13]».
5. LES STRATÉGIES DE DOMINATION DES LANGUES IMPÉRIALISTES
L’anglais n’est pas la seule langue prédatrice dans la jungle de la mondialisation. Elle se dispute souvent le territoire et le leadership avec d’autres langues cannibales qu’on classe aujourd’hui dans le paradigme des « puissances linguistiques » qui hier, n’étaient autres que des « puissances coloniales et impérialistes ». Pour maintenir et imposer leurs langues sur le plan international, les anciens colonisateurs ont trouvé une astuce efficiente : créer des confédérations ou des organisations linguistiques qui rassembleraient les anciennes colonies devenues indépendantes politiquement, mais qui partagent encore la langue du colonisateur. Parmi ces organisations en vue, on peut citer L’Association internationale de francophonie, Le Commonwealth, La ligue arabe, La communauté des pays de langue espagnole, etc. L’idéal qui sous-tend ces organisations est qu’ autour de l’enjeu linguistique, on va développer d’autres réseaux et d’autres politiques de coopération dans le domaine militaire, sanitaire, universitaire, économique, sportif, social, etc.
Prenons par exemple l’Organisation Internationale de la Francophonie qui regroupe 56 pays parlant entièrement ou partiellement le français. Cette organisation, dans son plan stratégique, a nommé des représentants permanents auprès de l’ONU, de l’Union Africaine et de l’Union Européenne. Ces représentants permanents ont pour rôle d’ « assurer effectivement la présence de la langue française sur la scène internationale ». Le plan de relance pour la présence du français dans les organisations internationales adopté lors du Sommet de Hanoï en 1997 est un des programmes prioritaires de la coopération multilatérale francophone dont les objectifs sont les suivants :
- placer à des postes jugés stratégiques pour la Francophonie une vingtaine de jeunes experts francophones dans les organisations internationales ;
- assurer la formation de jeunes cadres issus de pays francophones à la fonction publique internationale ;
- contribuer, par le fonds d'aide pour la traduction et l'interprétation, à la présence du français dans les réunions internationales qui se tiennent hors de France ;
- prendre en charge des délégués francophones lors de rencontres internationales de haut niveau.
Toutes ces mesures démontrent comment la France entend imposer et perpétuer son influence, son hégémonie et sa présence dans le monde à travers la promotion de sa langue. Et pendant que la France met sur pied des stratégies institutionnelles pour maintenir le français sur le plan international, les ex-colonies en Afrique réunies au sein de l’Union Africaine, réfléchissent de leur côté sur la nécessité de promouvoir et de sublimer de patrimoine linguistique africain. Cette révolution en cours s’appelle la « décolonisation linguistique ».
6. LES STRATÉGIES DE DÉCOLONISATION LINGUISTIQUE
La « décolonisation linguistique » est un mécanisme d’exercice de souveraineté qui permet à une ex-colonie ayant acquis son indépendance de se libérer de la tutelle linguistique du colonisateur en se dotant d’une langue nationale qui soit singulièrement le reflet de son identité culturelle ou le creuset de son authenticité, car il n’y a pas de culture authentique sans langue originale.
Dans l’introduction de son Mémoire intitulé La décolonisation linguistique et la problématique de la traduction postcoloniale, Robert Gudde (2009) se pose deux questions fondamentales : « Est-il possible qu´une langue donnée soit capable d´exprimer parfaitement une culture étrangère ? Cette langue peut-elle traduire l´imagination issue d´une culture étrangère d´une manière satisfaisante? ». L’ironie et la dérision sont d’autant plus fortes lorsque les chef-d’ Etats africains se rencontrent lors des sommets de l’Union Africaine. Quelle langue parlent-ils ? Si la langue est le reflet de la pensée, de la culture et de la civilisation d’un peuple, comment peut-on exprimer une idéologie panafricaniste dans une langue occidentale ? Cette préoccupation essentielle a amené l’Union Africaine (U.A.) à créer en 2006 l’Académie des Langues Africaines (ACALAN) dont la mission principale est de « contribuer au développement et à l’intégration de l’Afrique par la promotion et la valorisation des langues africaines dans tous les domaines de la vie publique »[14].
Plus qu’un problème de communication et d’interaction, la question linguistique est désormais un instrument politique, un moyen par lequel l’Afrique entend réhabiliter son patrimoine culturel en se libérant progressivement et méthodiquement de l’assimilation coloniale. Cette philosophie de négation et d’affirmation transparait dans cet extrait du discours de l’ex-président malien Alpha Oumar Konare, prononcé le 08 septembre 2001 à l’occasion du lancement des activités de l’Académie : « Il est grand temps que notre continent se donne les moyens de faire des langues africaines des langues de travail dans tous les domaines de la vie publique. C’est à ce prix que nous ferons de nos Communautés Economiques Régionales de véritables instruments d’intégration africaine et de l’Union Africaine une réalité vécue par des peuples réhabilités et rétablis dans leur identité et dans la continuité historico-culturelle de leurs espaces.
Parmi ses programmes prioritaires, L’ACALAN dont le siège est à Bamako au Mali, œuvre sur la promotion et la valorisation les langues africaines en général et des langues transfrontalières véhiculaires en particulier, en partenariat avec les langues héritées de la colonisation. L’idéal qui sous-tend ses travaux est de proposer plus tard à la Communauté des Etats de l’Afrique une ou plusieurs langues susceptibles d’être érigées en langue officielles de l’Union Africaine. Dans une étude à paraître (Momha, 2014), nous avons proposé en tenant compte du principe de laïcité et de la configuration des familles linguistiques africaines cinq langues sous régionales :
- Le berbère (Afrique du Nord)[15]
- Le beti (Afrique centrale)[16]
- Swahili (Afrique de l’Est)[17]
- Le Haoussa (Afrique de l’Ouest)[18]
- Le zoulou (Afrique Australe)[19].
Ces cinq langues transfrontalières véhiculaires qui sont potentiellement les langues officielles de l’Union Africaine « renforceront les relations d’échanges entre les populations, et, au-delà des frontières politiques, fonctionneront comme les lignes de suture du tissu socio-culturel de tout un continent en quête d’unité »[20].
Ainsi, l’Union Africaine qui ne pèse aujourd’hui que 02% dans le commerce international mais dont le taux de fécondité est de 6 enfants par famille, pourrait devenir avec son milliard de locuteurs à l’horizon 2035 la deuxième puissance linguistique émergente après la Chine. Une telle conjoncture risque non seulement de faire basculer les rapports de forces dans la mondialisation, mais aussi de réduire considérablement l’influence du Français et l’hégémonie de l’Anglais dont le continent africain en est encore la principale pépinière de locuteurs. François Hollande, Président de la République française, ne déclarait-il pas à l’orée du dernier sommet de la Francophonie au Congo en 2012 que « le français est une langue africaine » ? Assertion politiquement correcte certes, mais vilipendée par des intellectuels locaux qui lui ont répondu sèchement que jamais dans l’histoire de l’humanité, le gaulois n’a été un ancêtre bantou.
CONCLUSION
La conjoncture mondiale actuelle présente des indices géopolitiques et géostratégiques qui nous amènent à croire que nous sommes à l’aube d’une troisième guerre mondiale. Il ne faut point être visionnaire pour prédire que d’ici quelques décennies, le monde va vivre de grands bouleversements qui risquent de changer radicalement son horloge ou son système d’aimantation. Les grands empires linguistiques qui aujourd’hui ont le vent en poupe, vont chercher à asseoir leur hégémonie et à consolider davantage leurs positions stratégiques, et les pays émergents dont le patrimoine linguistique est en phase de standardisation, vont chercher à faire bloc autour des organisations intracontinentales et à adopter une politique linguistique commune pour concurrencer l’impérialisme des langues coloniales. Compte tenu de cette dynamique, il nous vient à l’esprit une question qui nous interpelle tous : que deviendront l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais, etc. si demain ou après-demain, les ex-colonies qui continuent encore à se servir de ces langues empruntées par procuration décident de résilier le bail linguistique et de sublimer leurs propres langues endogènes ?
BIBLIOGRAPHIE
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[1] « Ethnologue », Languages of the world, http://www.ethnologue.com
[2] Le classement typologique consiste au regroupement des langues en fonction des critères grammaticaux et linguistiques ou en catégories structurelles (flexionnelles, agglutinantes, isolantes, etc.)
[3] Le classement génétique des langues consiste au rapprochement des idiomes selon leur parenté ou leur degré de filiation.
[4] L.-J Calvet, Le poids des langues et « prospectives », Synergies brésil, N° spécial 1, 2010, p.41-58.
[5] «Très cher fils…J'entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement. Premièrement la grecque comme le veut Quintilien, secondement, la latine, et puis l'hébraïque pour les saintes lettres, et la chaldaïque et arabique pareillement; et que tu formes ton style quant à la grecque, à l'imitation de Platon, quant à la latine, à Cicéron. Qu'il n'y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente, à quoi t'aidera la cosmographie de ceux qui en ont écrit». François RABELAIS, Pantagruel, 1532.
[6] Ce classement est le résultat d’un sondage que nous avons réalisé au sein de notre cours à l’université de Moncton, Ling3824, « Les Langues du monde », sur un échantillonnage de 234 étudiants.
[7] L.-J. Calvet, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Hachette, 1999, p.279.
[8] Michel Feltin-Palas, L’Express, 28/03/2013, http://www.lexpress.fr/culture/livre/claude-hagege-imposer-sa-langue-c-est-imposer-sa-pensee_1098440.html
[9] Ludovig Greiling, « La guerre des langues », Politique Magazine, 7 janvier 2013, http://politiquemagazine.fr/la_guerre_des_langues.html
[10] Jean-Christophe Victor, Géopolitique des langues, diffusion sur Arte 10.02.2001 à 22h30.
[11] Michel Feltin-Palas, L’Express, 28/03/2013, http://www.lexpress.fr/culture/livre/claude-hagege-imposer-sa-langue-c-est-imposer-sa-pensee_1098440.html
[12] « Anglo-American Conference on English Teaching Abroad », Conférence organisée par le British Council, Cambridge, du 26 au 30 juin 1961
[13] J.-M. Calvet, Linguistique et colonialisme, Payot, 2002, p.21.
[14] Pour les objectifs de l’Académie des Langues Africaines, voir http://www.acalan.org/fr
[15] Le berbère est une langue qui est parlée au Maroc et plus précisément dans le moyen atlas, en Algérie du nord dans la région de Kabyles, en Tunisie, en Lybie et chez les Touaregs du Sahara et en Mauritanie.
[16] Le beti est un continuum linguistique de langues bantoues parlées dans la partie sud du Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Gabon, en Guinée équatoriale et à Sao Tomé-et-Principe. Les langues beti sont : bebele, bebil, bulu, eton, ewondo, fang, mengisa
[17] Le swahili est une langue véhiculaire africaine principalement parlée en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie, à l'île de Zanzibar et aux Comores, sans oublier le Rwanda et le Burundi ,le Congo, la Somalie, la Zambie et l'Afrique du Sud.
[18] Le haoussa est une langue tchadique principalement parlée au Nigeria, au Niger, au Ghana, en Côte d’ Ivoire, au Cameroun, au Tchad et au Soudan, Il est aussi parlé dans de nombreuses grandes villes commerciales (Dakar, Abidjan, Lomé, Cotonou, Ouagadougou, Bamako, Conakry, Bangui, etc.). Aujourd’hui, le haoussa est considéré comme une langue véhiculaire (commerciale) d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
[18] Le Zoulou est ka langue la plus parlée en Afrique du Sud et dans toute la cuvette de l’Afrique australe