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Mondialisation, langues et politiques linguistiques
13 juin 2014

Langues et panafricanisme : analyse du volêt linguistique dans la construction de l'Union Africaine

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Dr. Martin Momha

Professeur de sociolinguistique et de didactique

Chercheur en sciences du langage et de la communication

Université de Moncton

 

Le panafricanisme est un mouvement social, politique et culturel qui vise « à unifier les africains du continent et de la Diaspora africaine en une communauté africaine globale… Son objectif ultime est la réalisation d'une organisation politique intégrée de toutes les nations et peuples d'Afrique ». Le panafricanisme transcende les barrières raciales et s’incarne dans un vaste projet politique qui s’exprime aujourd’hui dans une large organisation : l’Union Africaine, née en 2002 à Durban des cendres de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). L’acte constitutif de l’U.A. a été parafé par les chefs d’états membres de l’OUA dans quatre langues: l'arabe, l'anglais, le français et le portugais.

Cependant, si le panafricanisme est une révolution qui vise la solidarité, l’intégration et  l’émancipation des peuples africains, ce mouvement devrait légitimement fonder ses principes sur la promotion des valeurs authentiquement africaines. Or, il se trouve que la constitution de cette organisation qui se veut afrocentrée, est écrite dans quatre langues non africaines. Les intellectuels africains et les pères fondateurs de l’U.A. ont-ils oublié l’importance de la langue dans la construction de l’identité africaine ? Cette indélicatesse compromettante est une aberration qui soulève quelques questions de fond : quand les chefs d’états africains se rassemblent lors des sommets de l’Union Africaine, en quelles langues dialoguent-ils ? Comment peut-on défendre une idéologie panafricaniste en faisant usage des langues coloniales ?

En tenant compte des configurations sous régionales et des spécificités ethnolinguistiques de l’Afrique, le but de cet article est de définir et d’intégrer dans le projet de construction de l’Unité Africaine des langues transfrontalières véhiculaires susceptibles d’être érigées en langues officielles de l’Union Africaine.

 

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 Avant les africains, les américains et les européens pour ne citer que ces deux peuples, se sont lancés dans des aventures    fédéralistes et unitaires.  Les premiers ont choisi l’unilinguisme et les seconds le multilinguisme.  Quel modèle correspondrait à l’Union Africaine ?

 

1 - Le modèle américain : l’unilinguisme

Dès leur indépendance le 04 juillet 1776, les Etats Unis d’Amérique n’ont pas perdu du temps dans des cénacles et des hémicycles pour légiférer sur une langue qui reflète leur identité souveraine. Ces ex-colonies britanniques devenues indépendantes, ont adopté naturellement la langue coloniale dominante comme langue officielle, préférant ainsi par leur choix ombilical la civilisation anglo-saxonne au détriment de la civilisation amérindienne.

En effet, l’hypothèse de la construction d’une nation sur la base d’une langue autochtone n’est  pas valable dans le cas américain, puisque l’anglais n’est pas la langue originelle de l’Amérique. L’histoire nous révèle que les premiers occupants du continent américain étaient des indiens. Ces peuples parlaient des langues dites « amérindiennes ». Mais les politiques impérialistes et assimilationnistes régentées par la monarchie britannique et des empires coloniaux n’ont accordé qu’un statut folklorique aux langues indigènes des Amériques, exterminant les unes et renvoyant les autres au rang de comparses. Aujourd’hui, l’identité américaine est inséparable de la langue anglaise. Voilà pourquoi dans les milieux fondamentalistes outre-Atlantique, on pense que « ne pas parler l’anglais est un acte antipatriotique ».

Dans la logique américaine, une nation est une construction soudée et homogène et non un patchwork linguistique ou une « tour de Babel ». A chaque peuple souverain, doit correspondre une langue et une nation, d’où le slogan «One Language, One Nation». En prenant appui sur l’histoire du Canada, les américains sont convaincus que « la diversité des langues conduit forcément au conflit linguistique, à la haine ethnique et au séparatisme politique «à la Québec». La seule façon de défendre leur  unité et leur identité, c’est d’angliciser les autochtones et les immigrants, bref, « d’imposer l'assimilation comme unique mode d'intégration ».  A ce titre, Franklin Roosevelt, Président des Etats Unis de 1932-1945 déclarait : « Il n’y a de place ici que pour une seule langue, et c’est la langue anglaise, parce que nous entendons voir le creuset transformer la population en Américains, de nationalité américaine, et non en pensionnaires d’une auberge polyglotte ».

La politique linguistique américaine est un protectionnisme qui garantit la prépondérance et le monopole de la langue anglaise dans l’administration et la quasi-totalité des secteurs d’activité. Elle tire son essence du monolinguisme dont le faisceau unimorphisateur confère aux peuples d’une même nation la même identité. Parler une même langue, c’est non seulement affirmer et manifester son appartenance à la même communauté linguistique, mais aussi et surtout partager les mêmes valeurs, voire la même vision du monde.  C’est cet idéal qui sous-tend « l’american way of live »

 

2- Le modèle européen : le multilinguisme

Si les états américains ont fondé leur politique linguistique sur le monolinguisme en focalisant leur vision du monde sur « la pensée unique », les européens, eux,  ont érigé la leur sur le multilinguisme fonctionnel égalitariste. En effet, l’Union Européenne est une mosaïque architecture, un patchwork de 24 langues officielles : Allemand, Anglais, Bulgare, Croate, Danois, Estonien, Grec, Espagnol, Français, Irlandais, Italien, Letton, Lituanien, Hongrois, Maltais, Néerlandais, Polonais, Portugais, Roumain, Slovaque, Slovène, Finlandais, Suédois et Tchèque. Sur ces 24 langues officielles, trois jouissent d’un statut de langue de travail : Allemand, Anglais et Français. Cette multiplicité de langues officielles pose quelques problèmes pratiques : a/ tous les actes administratifs, tous les textes de lois, toutes les couvertures médiatiques des évènements et des faits d’actualité par des chaînes européennes (euronews/eurosports, etc.) sont traduits en 24 langues et diffusés sur 24 canaux. Un tel dispositif implique une grande mobilisation de ressources humaines et un coût financier énorme. b/ le citoyen européen authentique serait malgré lui un avatar ou archétype polyglotte qui s’exprime obligatoirement en 24 langues. Une vraie gageure.

Fondé sur le culte de la diversité et de la pluralité culturelle, le multilinguisme à l’échelle européenne transforme l’union en une agglutination de molécules hétéroclites. En effet, loin d’être un vecteur fédérateur, la pluralité des identités linguistiques qui interfèrent au sein de l’union contribuent plutôt à enfermer les peuples dans des cocons infra-nationalistes. L’identité européenne est donc un leurre, car au sein de l’union, les français resteront français et les espagnols demeureront espagnols. Ainsi, la quête d’une citoyenneté européenne et l’expression d’un patriotisme européen sont des projections asymptotiques qu’aucun compromis ne rendrait accessible.

 

3- Le modèle africain : le monolinguisme régional

À travers l’Académie des Langues Africaines dont la mission est la valorisation du patrimoine linguistique africain, l’Union Africaine a axé sa politique linguistique sur la promotion de la diversité et de la pluralité des langues du continent. Cependant, cette politique accorde une place de choix aux langues coloniales qui ont le statut langues de travail. L’organisation panafricaine serait donc à la recherche de langues officielles. Deux théories se confrontent sur ce postulat. La première théorie, colonialiste, voudrait que les langues coloniales soient définitivement érigées en langues officielles de l’Union Africaine, ceci permet d’éviter entre des états et des peuples des heurts et les susceptibilités. La deuxième théorie, afrocentriste, prône l’affranchissement total de l’Afrique du joug colonial par la sublimation et la standardisation des langues africaines.  Comme tous les panafricanistes, je fais partie des fervents défenseurs de la deuxième hypothèse. Cependant, une question de procédure mérite encore d’être élucidée : Sur quels critères doit-on spéculer pour le choix des langues officielles de l’Union Africaine ?

Pour qu’une langue soit choisie comme langue officielle de l’Union Africaine, il faudrait qu’elle remplisse les conditions suivantes : a/ ne pas être une langue coloniale ; b/ ne pas être une langue liturgique ; c/ être une langue transfrontalière véhiculaire ; d/ être parlée  au moins dans trois pays au sein d’une sous-région. Ces critères permettent de balkaniser l’Afrique en cinq sous régions et dans chaque sous-région, correspond une langue transfrontalière véhiculaire qui répond aux critères précédemment définis :

a/ Afrique du Nord : le berbère, langue parlée au Maroc et plus précisément dans le moyen atlas, en Algérie du nord dans la région de Kabyles, en Tunisie, en Lybie et chez les Touaregs du Sahara et en Mauritanie.

b/ Afrique de l’Est : Le swahili, langue véhiculaire parlée  principalement en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie, à l'île de Zanzibar et aux Comores, sans oublier le Rwanda et le Burundi, le Congo,  la Somalie, la Zambie et l'Afrique du Sud. 

c/ Afrique de l’Ouest : Le haoussa, langue tchadique principalement parlée au Nigeria, au Niger,  au Ghana, en Côte d’ Ivoire, au Cameroun, au Tchad et au Soudan, Il est aussi parlé dans de nombreuses grandes villes commerciales (Dakar, Abidjan, Lomé, Cotonou, Ouagadougou, Bamako, Conakry, Bangui, etc.). Aujourd’hui, le haoussa est considéré comme une langue véhiculaire (commerciale) d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

d/ Afrique centrale : Le beti , continuum linguistique de langues bantoues parlées dans la partie sud du Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Gabon, en Guinée équatoriale et à Sao Tomé-et-Principe. Les langues beti sont : bebele, bebil, bulu, eton, ewondo, fang, mengisa.

e/ Afrique australe : Le zoulou,  langue la plus parlée en Afrique du Sud et dans toute la cuvette de l’Afrique australe.

 

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Le continent africain compte environ  2000 langues. C’est un patrimoine riche, dense et diversifié qui mérite une politique de sauvegarde.  Cependant, sur le plan panafricain, il serait fastidieux voire impossible de vouloir promouvoir cette pluralité et cette diversité linguistique face à l’archidomination des langues coloniales. Pour plus de pragmatisme, l’Union Africaine devrait décentraliser ses prérogatives en accordant aux états membres des missions de promotion des langues nationales pour se consacrer intensément à la valorisation des langues transfrontalières véhiculaires au sein des sous-régions, dans le but d’en faire constitutionnellement à moyen terme des langues officielles de l’Union Africaine. Le monolinguisme régional africain tel que je l’envisage, serait calqué sur le modèle de la confédération helvétique. Chaque sous-région africaine développera une langue officielle et les cinq langues sous régionales deviendront les langues officielles de l’Union Africaine.

 

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Commentaires
M
Il y a des petites choses à vérifier et surtout j'ai l'impression que les gens abordent souvent la question des politiques linguistiques avec les idées reçues et non avec l'analyse du réel. L'anglais n'est pas la langue officielle des Etats Unis mais la langue co-officielle dans 22 Etats membres de la fédération. Au niveau fédéral, il n'y a pas de langue officielle. Lire la constitution des USA. <br /> <br /> La politique linguistique de l'Union Africaine conduite par l'ACALAN devra être complétée car il manque de nombreuses langues dont le mandingue, le fulfulde et le mtusna...<br /> <br /> Pour terminer, je ne comprend pas ce fétichisme de la langue officielle. C'est pas obligatoire et la moitié des pays du monde n'en n'ont pas. Une langue officielle 'est une langue reconnue comme tel dans une constitution ou un document faisant office de loi coutumière. Tu prends un pays comme l’Angleterre, la loi coutumière a consacré le français comme langue de la cour. Il en est de même en Russie Stariste. Mais qui utilise ces langues encore dans ces fonctions? La politique linguistique dans l'histoire de l'humanité contient des aberrations qui ont leur fondement dans l'histoire. Laissons les gens parler.
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